BLACKOUT

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L’installation Blackout s’inscrit dans une série d’œuvres illustrant les recherches menées autour de l’interprétation sonore des étoiles. Celles-ci ont vu le jour après la découverte par le satellite Kepler d’ondes émises par des corps célestes. La NASA proposa d’en donner une interprétation sonore, créant ainsi une musique des étoiles.

Cette volonté de donner aux astres une identité sonore remonte au Ier siècle avant J.-C. L’harmonie des sphères ou « Musique des Sphères » est une théorie d’origine pythagoricienne fondée sur l’idée que l’univers est régi par des rapports numériques harmonieux ; que les distances entre les planètes dans la représentation géocentrique de l’univers sont réparties selon des proportions pouvant trouver une correspondance avec la musique. Les distances entre les planètes correspondent à des intervalles musicaux créant ainsi une partition céleste, et ce, malgré l’étendue silencieuse de l’espace. Les avancées techniques aujourd’hui allouées à la conquête de l’espace et au développement de l’astrophysique, ont permis aux chercheurs de mettre au point l’astérosismologie. Cette discipline étudie les mouvements sismiques – aussi appelés oscillations – des étoiles qui se propagent sous forme d’ondes, dans et à la surface de celles-ci. Parmi ces différents types d’onde observés, les ondes liées aux modes de pression – oscillations dont la force de rappel est la pression du gaz – sont des ondes acoustiques. Le désir de donner une identité sonore aux étoiles se concrétise finalement scientifiquement. Cette thématique s’est introduite dans mon travail instinctivement, à la suite d’une étude cherchant à traduire phonétiquement les impacts aléatoires d’un coup de chevrotine (Shotgun Symphony, 2013). À cela s’ajoute la volonté romantique de donner une lecture sonore d’un espace résolument silencieux.

À partir de données récoltées par les observatoires sur chaque étoile (magnitude visuelle, distances, vélocité radiale), j’ai pu répertorier et transposer ces données en composition sonore. C’est ainsi que j’ai pu associer à chaque étoile un volume, une fréquence. Visuellement, cela se traduit par une courbe sinusoïdale formant un atlas graphique et sonore.

Ces ondes sonores sont ici transcrites visuellement sur un support posé au sol. La forme de cette installation s’inspire du futur télescope James-Webb en cours de réalisation, et dont le déploiement dans l’espace est prévu par la NASA en 2021. Par cette forme, je souhaite faire écho à l’un des outils utilisés par les centres de recherche spatiale permettant de localiser des corps célestes avec précision et d’en étudier les propriétés dans un cadre scientifique. Ce dessin des ondes émises par les étoiles est imprimé sur dix- neuf panneaux hexagonaux de dibonds découpés. La forme qu’ils composent évoque celle du miroir du télescope James-Webb. Il présente ainsi, sous forme de dix-neuf fragments assemblés, l’atlas graphique et sonore de l’événement imaginaire « Blackout ». Apparaît ainsi sa « partition sonore » : chacune des étoiles est dessinée avec son rayonnement, indiquant son identité sonore, sa fréquence auditive, sur la carte stellaire.

L’animation projetée au-dessus de cette partition permet de visualiser l’extinction de ces étoiles visibles depuis l’hémisphère Nord. Elles s’animent et s’éteignent progressivement au cours de la vidéo, jusqu’au noir absolu (blackout). Cette vidéo rend compte des figures attribuées aux constellations que nous connaissons. Elle se dessinent sous nos yeux avant de disparaître lentement. Elle offre ainsi une lecture visuelle de la partition qui lui fait écho au sol, et donne vie à celle-ci. Projetée au plafond, la vidéo place le spectateur dans une situation similaire à celle qu’il adopterait pour l’observation des étoiles, les yeux tournés vers le ciel. Du mobilier disposé tout autour de la partition, permet également de s’allonger ou s’asseoir pour mieux les contempler.

Le son qui complète l’installation est diffusé simultanément à la vidéo. Il a été défini en fonction de quatre paramètres constitutifs des étoiles, transposés en données sonores. La répartition des sons émis par les étoiles se fait en fonction de la distance qui nous sépare d’elles : l’étoile la plus lointaine est la première que l’on entend, l’étoile la plus proche, la dernière. La fréquence du son a été dé nie en fonction de l’intensité lumineuse de chaque étoile. Son volume selon un autre paramètre. La durée du son diffusé est identique pour chaque étoile, seule une modulation du volume est appliquée en fonction d’un quatrième critère afin de leur donner une identité organique.

L’interprétation sonore des étoiles et la partition qui en découle ont été réalisées en collaboration avec Nicolas Charbonnier. Pour Blackout, ce dernier a créé un son « référence », une sorte de nappe sonore à partir d’un motet composé par Alessandro Striggio à la Renaissance pour quarante voix. Le procédé consiste à tasser l’harmonie de l’œuvre de Striggio afin d’obtenir une sorte de « drone sonore » assez dense et un peu atonal, avec une dominante en sol. À partir de ce son « référence » et suivant le même procédé appliqué dans d’autres œuvres comme « Nocturnes » réalisée en 2017 pour le parking 2KM3 (Saint-Gervais), des bandes de fréquences ont été assignées en fonction des paramètres de chaque étoile. Quand une étoile apparaît, elle laisse passer ce « drone sonore » uniquement dans sa bande de fréquence. Ainsi, ce n’est pas un son qui est créé à chaque fois que l’on voit l’étoile apparaître et disparaître, mais plutôt un son en continu que l’on entendrait ponctuellement, comme une fenêtre que l’on ouvre sur un son. Il en résulte un ensemble plus harmonique que les ensembles sonores proposés jusqu’à présent dans les autres œuvres.

L’installation Blackout restitue ainsi un événement imaginaire évoquant une nuit où l’on pourrait observer et entendre l’extinction de l’ensemble des étoiles de notre espace céleste visible depuis l’hémisphère Nord. L’objectif de cette installation est de présenter aux spectateurs un atlas graphique et sonore, dont la composition s’abreuve à la source du monde scientifique, rendant ainsi hommage à l’astronomie, à la conquête de l’espace, à l’étude d’une harmonie céleste. Elle pose aussi la question de notre rapport aux origines et à notre futur : comme un avertissement à nos comportements excessifs face à la nature et à notre tendance à épuiser ce qui nous entoure.

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